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PAPER SESSIONS
Sociology of education

Les enjeux de justice sociale en formation professionnelle

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June 28, 2021 10:45
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June 28, 2021 12:15
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Organizers

Kerstin Duemmler & Barbara Duc, Institut fédéral des hautes études en formation professionnelle (IFFP), Lausanne

Speakers

Nadia Lamamra & Barbara Duc, Institut fédéral des hautes études en formation professionnelle (IFFP) Lausanne

Luca Preite, Pädagogische Hochschule FHNW, Muttenz

Alexandra Felder, Isabelle Caprani, Kerstin Duemmler, Institut fédéral des hautes études en formation professionnelle (IFFP), Lausanne

Laurence Bachmann, Anne Perriard, Anne Ronchi, HETS Genève (HES SO)

Le système de formation professionnelle dual, tel qu’il s’est notamment développé en Suisse, est souvent loué pour sa force intégrative des jeunes dans le monde du travail. Or, de nombreuses recherches en sociologie montrent que le système pose plusieurs questions en termes de justice sociale. Ces problématiques, mises en lumière par la crise liée à la pandémie de COVID-19, existent toutefois depuis longtemps. Ce workshop se veut une plateforme pour des recherches actuelles sur la formation professionnelle qui abordent des questions de justice sociale et d’inégalités, et ce à différents niveaux dont certains sont proposés ci-dessous.

Une première problématique a trait à la question du choix des jeunes dans leur orientation. En effet, même si deux tiers des jeunes entrent en formation professionnelle en Suisse, ce n’est pas toujours par choix délibéré étant donné le lien étroit entre l’orientation en secondaire II et le parcours scolaire antérieur. La sélection durant l’école obligatoire, en particulier au moment du passage du primaire au secondaire I, influencée entre autres par l’origine sociale et le contexte migratoire, participe à la reproduction d’inégalités sociales. Cela est particulièrement visible au niveau de l’impact de la voie suivie en secondaire I sur les formations postobligatoires envisageables, ce qui influence durablement les futures conditions de travail et possibilités de carrière. De plus, les filières de formation postobligatoires sont fortement sexuées, ce qui est entre autres dû à la socialisation différenciée des filles et garçons dans les cadres familial et scolaire.

Une deuxième problématique est liée à l’intégration dans le système dual qui répond à des logiques similaires à celles du marché du travail. Les candidat-e-s à l’apprentissage doivent ainsi faire face à un véritable marché des places d’apprentissage et font l’expérience de la concurrence, et pour certain-e-s de la discrimination. Un certain nombre de jeunes connaissent donc des difficultés, voire des impossibilités, d’accès au système dual. De plus, les logiques de recrutement des entreprises participent à la reproduction d’inégalités en termes de genre et d’origine en privilégiant des compétences non académiques que les jeunes développent davantage dans le milieu familial qu’à l’école.

Une troisième problématique renvoie aux questions de réversibilité des choix de formation et de mobilité de carrière. Bien que les récentes réformes visent à davantage de perméabilité dans les voies de formation, notamment avec l’introduction de la maturité professionnelle, cette mobilité dépend des acquis d’apprentissage antérieurs qui sont distribués de manière inégale parmi les jeunes. Par ailleurs, la possibilité de faire une maturité professionnelle intégrée dépend aussi de la volonté des entreprises formatrices de laisser l’apprenti-e s’y engager en parallèle de son apprentissage.

Une dernière problématique concerne la période de formation elle-même. Une importante tension traverse le quotidien des apprenti-e-s, la tension entre la production et la formation. Celle-ci se retrouve dans leur statut, à la fois personne au travail et en formation. Cela soulève la question de la qualité de la formation reçue par l’apprenti-e au sein de l’entreprise formatrice, plus précisément le degré d’adéquation des conditions de formation à l’apprentissage d’un métier et non à l’usage d’une main d’œuvre bon marché.

Mots-clés: apprentissage, sélection, trajectoire, orientation, inégalités sociales, conditions de formation

Le capital d’autochtonie, une voie d’accès vers une place d’apprentissage ?

Nadia Lamamra & Barbara Duc, Institut fédéral des hautes études en formation professionnelle (IFFP) Lausanne

Les travaux en sociologie soulignent combien la formation professionnelle participe à la reproduction des inégalités sociales, notamment lors de la sélection et du recrutement des futur-e-s apprenti-e-s par une entreprise formatrice (Fibbi, 2006; Imdorf, 2007). Comparable à celui prévalant à l’accès au marché du travail, le processus reproduit directement ou indirectement des discriminations fondées sur l’origine sociale, migratoire ou encore sur le genre (Duc & Lamamra, 2020; Kergoat, 2015; Ruiz & Goastellec, 2016). Il s’agit ici d’analyser un critère de recrutement moins étudié dans le contexte helvétique : le capital d’autochtonie (Retière, 2003; Renahy, 2010).

Le capital d’autochtonie est à comprendre comme un ensemble de ressources sociales et symboliques procurées par « l’appartenance à des réseaux de relations localisés » (Renahy, 2010, p. 9), relations professionnelles, de parenté, de voisinage, etc. Il permet à des milieux sociaux dotés de peu de capitaux scolaires et économiques de se positionner sur différents marchés, politique, du travail, matrimonial (Renahy, 2010), ou des places d’apprentissage (Moreau, 2015). Il s’agira ici de faire dialoguer la notion de capital d’autochtonie avec les liens sociaux, forts et faibles (Granovetter, 1973). En effet, les jeunes en recherche d’une place d’apprentissage mobilisent principalement des liens forts (Lamamra, Jordan & Duc, 2013). Or, le capital d’autochtonie tend à montrer la « force des liens forts ».

Cette contribution se fonde sur les entretiens semi-structurés menés auprès de 80 formateurs et formatrices en entreprise de Suisse romande travaillant dans des entreprises de tailles variées (micro, PME, grandes) de divers secteurs d’activité. Sur la question du recrutement, 69 entretiens qui traitent de cette question ont été retenus. L’analyse de contenu thématique (Bardin, 1986) permet d’identifier les critères de recrutement, dont le capital d’autochtonie. Il s’agira de mieux comprendre ses composantes et son rôle dans le recrutement en le mettant en lien avec les liens sociaux.

Dans ce corpus, le capital d’autochtonie est constitué par la parentèle, le voisinage ou la clientèle et recoupe en partie les réseaux forts utilisés par les jeunes. A la proximité géographique, s’ajoute l’engagement local qui laisse supposer des dispositions communes (entre patron-ne et futur-e apprenti-e). Les résultats soulignent que le capital d’autochtonie permet de compenser une non-correspondance aux critères usuels (origine sociale, résultats scolaires). En effet, les dispositions partagées laissent augurer d’une bonne intégration dans l’entreprise et le collectif de travail. 

La discussion reviendra sur le double intérêt d’une analyse au travers de cette notion. Elle permet de souligner d’une part, que les jeunes mobilisent principalement des liens forts et d’autre part, que les entreprises cherchent avant tout à minimiser les risques (dispositions communes, contrôle social) (Imdorf, 2007). En conclusion, le statut de ce capital sera débattu : alternative aux critères usuels ou au contraire, critère supplémentaire produisant des inégalités pour celles et ceux (immigré-e-s, filles) n’en disposant pas ou peu (Kergoat, 2015; Moreau, 2015).

Mots-clés: Apprentissage, marché des places d’apprentissage, sélection, inégalités sociales, capital d’autochtonie, liens sociaux 

Vocational education for sale. Insight from a single case study

Luca Preite, Pädagogische Hochschule FHNW, Muttenz

Using the example of a single case study, the contribution provides insights into a scarcely researched VET field: private vocational schools. Anna is a young woman with migration background who completed her vocational education at a private school by paying fees amounting to 37,000 Swiss francs. Her single mother, who had to draw welfare and is continuing her education while working, had persuaded her to do so after Anna had not found an apprenticeship in the bridge-year course either. The family could hardly afford the school fees. They needed the financial support of her grandparents - former guest workers. Despite unpleasant experiences in the internship, Anna successfully completed her vocational education, passed the entrance exam for the vocational baccalaureate and finally obtained the university entrance qualification.

These private schools offers VET in commerce, IT, design, childcare and medical practice assistance. Despite this, these schools are not considered in VET research nor in private school research. And yet, the example of these schools could be used to examine a variety of issues that shape the Swiss VET system in term of social inequality. For example, it surprises how these schools do not know any school admission requirements apart from a compulsory school certificate. Hypothetically, these schools could thus position themselves as a niche on a rather selective and thinned-out training and apprenticeship market – mind you, against payment. Therefore, the contribution exploratorily asks to what extent and how this vocational education for sale both undermine and reinforce social inequalities in the VET system. 

While in the subject-oriented transition research cooling-out processes are studied in depth, we know little about how at-risk youth attempt to resist these forces. From a theoretical point of view, Annas "choice" for a private school could thus be interpreted as a precarious practice of resistance in the transition regime. Her example therefore not only illustrates how she precariously did transition. Also, it can be used to investigate the field of these private schools itself.

From a methodological point of view Anna’s case is reconstructed in a multiperspectival approach. Beside informal conversations and problem-centered interviews with Anna and her mother secondary data – i.e. descriptive statistical analysis (TREE, FSO); a qualitative content analysis of educational advertisements of these schools – is taken into account to generalize the case in an analytical way.

Preliminary results suggest that, based on the payment, Anna succeeded in undermining forces of the transitional regime – e.g. in terms of access restriction and labor market orientation. And yet, from an inequality perspective, the question arises at what cost this occurred. Not only was there a substantial tuition to be paid, for which the family also had to go into debt. Once started to pay in installments, dropping out of school leads to a financial loss. It was no coincidence that changing schools was not an option for her even when she reported harassment during her internship. In Anna's vocational education, social inequality could thus only be overcome insofar as she took it upon herself as a burden.

Keywords: single case-study, private schools, transition regime, at-risk youth, agency 

Inégalités des conditions d’apprentissage et agentivité en formation professionnelle. L’exemple de l’apprentissage en automatisation.

Alexandra Felder, Isabelle Caprani, Kerstin Duemmler, Institut fédéral des hautes études en formation professionnelle (IFFP), Lausanne

Cette communication discute l’aspect de la justice sociale dans la formation professionnelle sous l’angle des inégalités des conditions d’apprentissage au sein des entreprises. Nous partons du constat que ce sont les entreprises qui créent les conditions nécessaires pour que les apprenti-e-s puissent saisir des opportunités d’apprentissage. Notre discussion montre que ces conditions peuvent différer significativement d’une entreprise à l’autre et qu’elles créent ainsi une inégalité d’opportunité d’apprentissage pour ces jeunes en formation.

En nous appuyant sur une recherche qualitative auprès d’apprenti-e-s en automatisation (31 entretiens et 4 discussions de groupes focalisées), nous montrons de façon concrète les formes d’accompagnement mises en place au sein des entreprises et discutons ensuite leur influence sur l’agentivité des apprenti-e-s concernant leurs opportunités apprentissage. 

Les formes d’accompagnement, qui se présentent comme un outil pédagogique de socialisation professionnelle et de transfert des compétences techniques (Fredy-Planchot, 2007), permettent l’instauration d’une structure de formation dans l’entreprise. Le niveau structurel est ensuite concrétisé par la « direct guidance » (Mikkonen et al. 2017), c’est-à-dire les interactions mises en place entre la personne chargée de la formation et l’apprenti-e, sa façon de structurer le quotidien de travail et d’apprentissage, ainsi que sa façon d’interagir avec l’apprenti-e. Finalement, les rapports avec d’autres collègues et apprenti-e-s jouent également un rôle significatif dans leur formation.

Notre discussion porte sur le vécu subjectif des apprenti-e-s de ces formes d’accompagnement, et de leur influence sur l’agency (Ferm et al.2018). Nos résultats montrent que dans une structure de formation qui prend en compte les besoins des apprenti-e-s en termes d’accompagnement et d’apprentissage elles et ils peuvent développer une agentivité qui impacte directement leur participation et influence leur potentiel d’apprentissage : ils renforcent leurs compétences professionnelles et leur estime de soi. Dans des conditions d’apprentissage qui sont peu adaptées aux besoins, il est souvent impossible pour les apprenti-e-s d’améliorer leurs opportunités d’apprentissage, et leurs compétences professionnelles restent à leurs propres yeux en dessous de leur stade de formation. De l’autre côté, ces apprenti-e-s développent souvent de l’agentivité en vue d’améliorer leurs conditions de formation.

La présentation de ces résultats ouvrira au débat sur les moyens à mettre en place pour, d’une part, réduire ces inégalités et, d’autre part, coopérer pour une meilleure prise en compte de la qualité des conditions d’apprentissage dans les entreprises.

Mots-clés : formation professionnelle, conditions d’apprentissage, accompagnement, agentivité, inégalités 

Assumer son pouvoir sur, déployer le pouvoir avec : les enjeux de justice sociale dans la formation des cadres

Laurence Bachmann, Anne Perriard, Anne Ronchi, HETS Genève (HES SO)

Si les directrices et directeurs d’institutions éducatives, sociales et socio-sanitaire ont de fait du pouvoir, elles et ils éprouvent toutefois souvent de la difficulté à le repérer, à le nommer ou à l’assumer. Cela, d’autant plus pour les cadres issus du travail social qui confondent parfois pouvoir et responsabilité, ou autorité et autoritarisme (Bayer, 2014). Ces cadres s’inscrivent en outre dans un contexte où le modèle hérité de direction d’organisation – encore très présent dans les faits et dans les représentations – est celui d’un homme blanc, suisse, quinquagénaire, chrétien, hétérosexuel et de milieu privilégié. 

Nos réflexions s’inscrivent dans le cadre du DAS et du MAS en direction d’institutions éducatives, sociales et socio-sanitaires de la Haute école spécialisée de Suisse Occidentale (HES SO). Ce dispositif de formation continue s’adresse à des personnes occupant un poste de direction dans le domaine de la petite enfance, de l’éducation ou du domaine médico-social. Au moment de leur formation, les participant-e-s occupent un poste en tant que responsable et cherchent à consolider leur posture de direction. En obtenant un poste de direction, la plupart de ces personnes ont effectué une ascension professionnelle ainsi qu’un déplacement professionnel en passant par exemple du métier d’éducatrice/teur de la petite enfance ou d’éducatrice/teur spécialisé-e, d’assistant-e social, ou d’infirmier-e à la position de directrice/teur de leur institution ou d’un groupe d’institutions. Les participant-e-s doivent dès lors acquérir des dispositions liées à leur nouvelle fonction. De plus, comme l’attestent les recherches sur les profils des assistant-e-s sociaux (Serre, 2009; Gaspar, 2012), leur ascension professionnelle est souvent doublée d’une ascension sociale par rapport aux professions de leurs parents. Enfin, ces personnes sont souvent en décalage avec le modèle dominant de cadre mentionné ci-dessus. Dès lors, les participant-e-s ont besoin d’outils critiques pour assumer pleinement leur nouvelle fonction. Inciter les cadres à assumer leur pouvoir relève ainsi d’un enjeu de justice sociale.

Notre contribution vise d’abord à cartographier les différentes formes de pouvoir présentes chez ces cadres et d’en dépeindre leurs dynamiques. Ensuite, elle a pour objectif de mettre en lumière un dispositif pédagogique qui permet de prendre conscience du caractère social d’une trajectoire individuelle. Nos réflexions s’appuient sur des travaux de participant-e-s ainsi que sur nos enseignements. Elles s’inscrivent aussi dans le cadre d’une recherche FNS sur le développement personnel et le pouvoir qui lui est associé. 

Nous montrerons d’abord que, si les directrices et directeurs sont peu nombreuses à évoquer explicitement le pouvoir, celui-ci apparait implicitement dans la plupart des situations présentées. Dans les écrits, il prend principalement la forme de pouvoir sur – celui issu de la domination (Naves, 2020). Ensuite, nous partagerons la méthodologie déployée en vue d’inciter les cadres dirigeant-e-s à développer, consolider ou transformer leur rapport au pouvoir.

Mots-clés : Justice sociale, formation continue, cadres dirigeant-e-s, sentiment d’illégitimité, classe, genre, race