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PAPER SESSIONS
Sociology of morality

Morality and Hybridity /Morale et Hybridation (session 2 of 2)

From
June 30, 2021 15:00
to
June 30, 2021 16:30
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Organizers

Daniel Burnier, University of Neuchâtel, Institute of Sociology

Speakers

Aikokul Arzieva, Anthropology, Graduate Institute of International and Development Studies, Geneva

Claire Balleys, Haute école de travail social de Genève (HETS/HES-SO)

Loïc Pignolo, Institut de recherches sociologiques, Université de Genève

Si la morale peut se concevoir comme un ensemble de discours et de pratiques visant le bien vivre, le bien agir des individus (Lopez, 2004, 2009) la sociologie de la morale prend pour objet d’étude, « la nature, les causes ou les conséquences des idées des gens concernant le bien et le juste » (Abend, 2008, notre traduction; Hitlin & Vaisey, 2013). Cette session est une invitation à proposer des analyses sociologiques prenant pour objet d’étude des discours et/ou des pratiques morales abordant des réalités « hybrides » (au sens commun du terme, de réalités composées d’éléments disparates) existant dans les sociétés contemporaines. Ces réalités hybrides se retrouvent dans de nombreux domaines (Gwiazdzinski, 2016)  comme la politique (partis se réclamant à la fois de la gauche et de la droite; consultation publique mixte), l’économie (partenariats entre le privé et le public; investissements cherchant à la fois un retour économique et un impact social/environnemental), l’urbanisme (écocités; nature urbaine), l’éducation (formation transdisciplinaire), la science et les arts (projets coproduits entre artistes et scientifiques), le travail (frontières floues entre le temps de travail/loisirs, bureau/maison), les technologies de l’information et de la communication (réalité physique « augmentée » par des informations; prothèses techniques), etc. Dans un monde en mutation rapide, les sources d’incertitudes ne manquent pas. Cette session s’intéresse à l’une d’entre elles : l’hybridation des temps, des espaces, des pratiques, des idées, des identités, etc. et aux jugements moraux que ces processus suscitent, soit pour les défendre, soit pour les rejeter. Comment analyser les manières dont les individus et les institutions comprennent ces réalités hybrides et les moralisent ? Quels processus sociaux et historiques expliquent la valorisation de l’hybridation ou son rejet ? Comment ces jugements moraux sur l’hybridation viennent modifier les actions et les choix des individus ? Qu’est-ce que veut dire la « vie bonne » dans une société hybride ? Comme il existe un paradoxe à constater l’extension sans fin du domaine de l’éthique ou de la morale (nous utilisons ici les deux termes de manière interchangeable) et l’intérêt ambigu des sociologues contemporains pour cet objet, le but à moyen terme de cette session est de jeter les bases d’un nouveau réseau de recherche consacré à la sociologie de la morale au sein de la Société Suisse de Sociologie (SSS).

Mots-clés : sociologie de l’éthique, hybridité

If morality can be conceived as a set of discourses and practices aimed at the good life, the good action of individuals (Lopez, 2004, 2009), the sociology of morality can be defined as "the sociological investigation of the nature, causes and consequences of people's ideas about the good and the right" (Abend, 2008; Hitlin & Vaisey, 2013).This session is an invitation to propose sociological analyses that study moral discourses and/or practices that address "hybrid" realities (in the common sense of the term, realities composed of disparate elements) existing in contemporary societies. These hybrid realities can be found in many fields (Gwiazdzinski, 2016) such as politics (parties claiming to be both left and right wing; mixed public consultation), economy (public-private partnerships; investments seeking both an economic return and a social/environmental impact), urban planning (eco-cities; urban nature), education (transdisciplinary training), science and arts (coproduced projects between artists and scientists), work (blurred boundaries between work/leisure time and office/home), information and communication technologies (physical reality "augmented" by information; technical prostheses), etc. In a rapidly changing world, there is no shortage of sources of uncertainty. This session focuses on one of these uncertainties: the hybridization of times, spaces, practices, ideas, identities, etc. and the moral judgments that these processes give rise to, either to defend them or to reject them. How can we analyze the ways in which individuals and institutions understand these hybrid realities and moralize them? What social and historical processes explain the valorization of hybridity or its rejection? How do these moral judgments about hybridity modify the actions and choices of individuals? What does a "good life" mean in a hybrid society? As there is a paradox in the endless extension of the field of ethics or morality (we use the two terms interchangeably here) and the ambiguous interest of contemporary sociologists in this subject, the medium-term goal of this session is to lay the foundations of a new research network devoted to the sociology of morality within the Swiss Sociological Society (SSS).

Keywords: sociology of ethics, hybridity

Disorientations, Confusion and Tensions: Searching for Moral Grounds (Ethnographic Accounts from Kyrgyz villages)

Aikokul Arzieva, Anthropology, Graduate Institute of International and Development Studies, Geneva

People in Kyrgyzstan experienced two main epistemological and lifestyle shifts within twentieth century, from pursuing semi nomadic lifestyle to becoming “Soviet citizens” in 1920s and then turning to “global citizens” in 1991. Today Kyrgyz society draw from different “traditions”: “Islam”, “Kyrgyz nomadic culture”, “Soviet socialism” and “liberalism” in making sense of their lives. While all these traditions have distinct overarching normative/moral philosophy for what to be and how to live, my multi-sited ethnographic study conducted in Kyrgyz villages from March 2018 to September 2019 shows that as people live in highly contextual realities (and are not homogenous), they have diverging ways of knowing and relating to these “moralities”. While some people learned to navigate between conflicting conceptions and values within these “traditions”, others caught themselves between multiple “moralities” and struggle to untangle their sense of disorientation, tensions and conflicts.  

Hybrid moralities, Kyrgyz villages, anthropology

Le « bon » parent à l’épreuve des écrans: entre jugement moral, attachement et agacement

Claire Balleys, Haute école de travail social de Genève (HETS/HES-SO)

A partir d’une enquête qualitative sur la place des écrans dans les familles de Suisse Romande, nous proposons de montrer les nombreuses ambivalences qui entourent les usages. Nos résultats permettent de croiser systématiquement les discours de chaque membre de la famille, et d’ainsi comparer les perspectives et les perceptions, notamment en matière de « bonne parentalité », finement articulées à ce que l’on considère comme les « bonnes pratiques » numériques. Nous proposons une communication en trois temps. Un premier point s’intéresse à l’axe de la socialisation verticale, c’est-à-dire à la place des écrans dans la relation parents-enfants, alors que les points deux et trois investiguent l’axe horizontal de la socialisation parentale et conjugale. Le premier point aborde les ambivalences corrélées à l’équipement des enfants, l’utilisation et la présence des écrans, en particulier du smartphone, perçus par les parents comme un mal nécessaire. L’outil est mobilisé à la fois comme objet de mépris et comme objet de réassurance, notamment dans le processus d’acquisition de l’autonomie. Alors que les jugements moraux portant sur les cultures juvéniles et/ou sur les cultures populaires ne sont pas nouveaux, l’hybridation des temps et des espaces que leur concentration sur les écrans posent de nouvelles questions en termes d’articulation de contextes relationnels et de rôles : Où est-on qui, et avec qui ? Le deuxième point investigue la manière dont les usages des écrans, et en particulier leur régulation, sont saisis par les parents comme des indicateurs de légitimité parentale. L’encadrement des usages infantiles et juvéniles représente un enjeu de la parentalité contemporaine, perçu comme un indicateur de « bonne parentalité ». Bien que les normes sociales liées à cet encadrement semblent faire consensus, nous verrons les distinctions que les appartenances sociales, de classe et de genre, opèrent dans les pratiques. Enfin, les usages des écrans ne sont pas spécifiques à l’enfance ni à l’adolescence. Dès lors, quid des pratiques parentales ? Comment sont-elles décrites par les un.e.s et par les autres ? Quel travail de justification de leurs propres pratiques est effectué par les parents, dans un contexte contradictoire de constante ambivalence entre idéal de résistance et injonction à la connexion ? Les réponses à ces questions constituent notre troisième point, encore peu documenté scientifiquement, qui restitue les agacements, les tensions voire les conflits entre parents autour de la place des écrans dans les familles. Les écrans, mobilisés comme des ressorts de défense, de domination ou de dénigrement entre parents, sont au cœur de multiples enjeux conjugaux et ex-conjugaux.

Keywords:  Pratiques numériques, écrans, familles, sociologie

Le “travail au gris” comme catégorie morale : le cas du marché illégal du nettoyage domestique à Genève

Loïc Pignolo, Institut de recherches sociologiques, Université de Genève

S’inscrivant dans le cadre d’une recherche doctorale en cours portant sur le marché illégal du nettoyage domestique à Genève, cette communication entend apporter des éclairages sur la façon dont se construit la légitimité en situation d’illégalité. Sur la base d’entretiens menés avec des individus employant au noir des travailleuses domestiques sans-papiers, je chercherai plus précisément à montrer comment ces derniers justifient moralement le fait de participer à des échanges économiques illégalisés. Le rôle du dispositif hybride “Chèque Services” à Genève – une prestation permettant entre autres aux employeurs·euses de l’économie domestique de déclarer de façon confidentielle leur employé·es sans-papiers aux assurances sociales – sera à ce titre relevé. Nous verrons ainsi que ce dispositif, sans pour autant légaliser l’activité économique en question (le fait d’engager une personne sans-papiers restant contraire aux normes légales), constitue malgré tout une source de légitimation importante pour les employeurs·euses, leur permettant selon eux de transformer une catégorie légale problématique – le travail au noir – en une nouvelle catégorie morale acceptable – le travail “au gris”. De par les liens entre dispositif hybride et légitimation morale qu’il permet, le cas du marché illégal du nettoyage domestique à Genève offre donc une opportunité de discussion intéressante pour la sociologie de la moralité.

Keywords: Economie domestique, travail au gris, légitimation morale, sociologie