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Privation de liberté en temps de pandémie et justice sociale (session 1 of 2)

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June 30, 2021 10:45
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June 30, 2021 12:15
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Organizers

Daniel Fink, membre associé de l’Ecole des Sciences criminelles (ESC) à l’Université de Lausanne, chargé de cours à l’Université de Lucerne; membre du Sous-comité onusien pour la prévention de la torture

Speakers

Stefano Caneppele, professeur, Ecole des sciences criminelles, Université de Lausanne; Christine Burkhardt, chargée de recherche, Ecole des sciences criminelles, Université de Lausanne; Laurent Moreillon, professeur, Ecole de droit, Université de Lausanne

Gaëtan Cliquenois, chargé de recherche CNRS, professeur à l’Université de Nantes; Annie Kensey, démographe, chercheure associée au CESDIP St. Quentin en Yvelines

Nissrine Hassini Alaoui, doctorante à la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines d’Oujda-Maroc; Saida Belouali, enseignante-chercheuse à l’Ecole Nationale des Sciences Appliquées Oujda-Maroc

Habibou Fofana, maître-assistant en sociologie à l’UFR Sciences Juridique et Politique, Université Thomas Sankara/Burkina Faso; chercheur au Pilot African Postgraduate Academy (PAPA).

La pandémie COVID-19 qui s’est répandue dès le début de 2020 a probablement soulevé des questions de justice sociale dans les établissements de privation de liberté comme dans aucune autre institution. Il ne s’agissait plus seulement de la mise en œuvre dans ces institutions d’une offre de santé qualitativement égale à celle en société, selon l’application du principe d’équivalence, mais de l’adaptation des mesures de prévention en une période de pandémie virulente. Ces dernières, définies dès mars 2020 pour la population générale, devaient être adaptées dans des espaces restreints et des conditions de vie strictes, à l’aide de moyens sanitaires limités, mais d’une communication institutionnelle intensifiée. Un réaménagement des espaces communs et une réorganisation des cellules ont dû être organisés à la hâte dans beaucoup de lieux de détention, afin de garantir un suivi adéquat de santé, de l’organisation d’espaces de quarantaine pour les détenus arrivants jusqu’au conseil médical pour toute personne avec symptômes, et en cas de maladie plus grave, une hospitalisation adaptée à la situation. En même temps, certaines catégories de détenus considérés comme particulièrement dangereux ont pu être confrontés à davantage de restrictions et à davantage d’obstacles dans l’exercice de leurs droits élémentaires. Inversement, il est possible aussi que la prévention du suicide et des automutilations ait poussé les directions des établissements à davantage de surveillance des détenus. Du côté de la justice, la pandémie a conduit à des décisions qui relèvent de la politique pénale, d’un côté, par exemple, à l’extension automatique de la durée initiale des détentions provisoires, de l’autre à l’application des libérations anticipées, au renvoi de l’exécution des peines de substitution ou encore à la fermeture de certains centres d’expulsion. La justice tournant au ralenti, les plaintes, les demandes de libération anticipée et toute autre doléance provenant des détenus ont été traitées avec moins de célérité. Finalement, ce sont les activités liées à la prévention de la torture et des mauvais traitements qui ont été interrompues, dans une période qui pourtant demandait probablement plus que jamais un tel monitorage. 

Ce panel se propose d’aborder la question de la justice sociale dans le monde de la privation de liberté en temps de pandémie à partir de divers questionnements et approches. Il s’agira autant de soumettre au débat les premiers résultats des travaux en cours depuis juin 2020 que de discuter le travail théorique préparatif des diverses équipes qui se lancent sur le sujet de la pandémie COVID-19 en privation de liberté. 

Keywords:  Privation de liberté; Prison; Pandémie COVID-19; Mesures sanitaires et médicales; Droits humains.

Justice et prison en temps de pandémie : les droits des personnes en détention

Stefano Caneppele, professeur, Ecole des sciences criminelles, Université de Lausanne; Christine Burkhardt, chargée de recherche, Ecole des sciences criminelles, Université de Lausanne; Laurent Moreillon, professeur, Ecole de droit, Université de Lausanne

L’année 2020 a été marquée par l’émergence de la pandémie Covid-19. La propagation du virus en Suisse et dans le monde entier a engendré la mise en place d’un ensemble de mesures d’urgence, depuis février 2020, en vue de contenir sa transmission. La société entière a été touchée par ces restrictions dont les institutions du système de justice (polices, tribunaux, prisons). C’est pourquoi une équipe de recherche interdisciplinaire de l’Université de Lausanne mène actuellement une étude transversale sur l’impact de la pandémie Covid-19 au sein du système de justice. 

Notre présentation expose les premiers résultats portant sur les droits des personnes en détention. Les enjeux sanitaires et sécuritaires ont impliqué des changements rapides des pratiques et chamboulé la dynamique des interactions sociales dans le milieu carcéral. L’une des principales mesures de protection contre la propagation du virus est la distance sociale. Les détenus, dont les contacts personnels sont déjà retreints par leur privation de liberté, ont ainsi vu leurs droits être davantage limités. Sur la base d’informations collectées à travers des entretiens, notre analyse porte principalement sur les droits individuels et les droits procéduraux des détenus en période de pandémie. En effet, la distanciation physique ou sociale s’est traduite notamment par la restriction des contacts personnels entre détenus, l’interdiction, parfois, de visites au parloir, mais également la restriction de communication en présentiel avec l’avocat. Dans un premier temps, les audiences ont été suspendues. Il en a été de même avec les expertises.

Keywords:  Privation de liberté; Pandémie COVID-19; Mesures de prévention; Droits de détenus; Suisse.  

Pandémie COVID-19, mesures de prévention sanitaire et droits des personnes détenues en France

Gaëtan Cliquenois, chargé de recherche CNRS, professeur à l’Université de Nantes; Annie Kensey, démographe, chercheure associée au CESDIP St. Quentin en Yvelines

La crise sanitaire a permis de justifier des mesures exceptionnelles. La population carcérale a baissé drastiquement, mettant fin à une inflation carcérale que l'on pensait inéluctable. Cette décrue a eu lieu sans qu'un mouvement de crainte et de réprobation générale ne se fasse sentir. Il est possible de ramener le taux d'occupation des établissements à une situation normale d'accueil. Mais le taux n'a pas été inférieur à 100 détenus pour 100 places de façon générale. Nous allons dans un premier temps de la communication décrire comment s'est déroulée la mise en œuvre de ces mesures. Puis nous poursuivrons par une perspective qualitative. En effet, si le Ministère de la Justice a donné différentes instructions aux parquets pour faciliter la remise en liberté de personnes détenues en fin de peine, sur un plan plus qualitatif, la prévention sanitaire appliquée dans certains établissements a renforcé les différents degrés d’enfermement déjà existants (Crewe, 2011 et 2020). On fait à cet égard l’hypothèse que la prévention sanitaire en détention emprunte certaines des caractéristiques de la prévention du suicide carcéral (Dear, 2006) et accroît la pénibilité de l’enfermement : dispositifs de surveillance (physique et vidéo) renforcés, limitation des contacts, placement dans des cellules aménagées. On rendra compte dès lors des différentes contraintes d’enfermement générées par la prévention sanitaire et leur comparaison avec la prévention du suicide et plus globalement avec un modèle d’empêchement de la mort qui réactive des formes de disciplinarisation des corps et des esprits (Foucault, 1975).  Pour ce faire, on procédera à une analyse des arrêtés, circulaires et notes pénitentiaires organisant la prévention sanitaire au sein de ces institutions de détention en les comparant à celles qui ont été adoptées dans d’autres pays (notamment en Allemagne) et celles préconisées par le Conseil de l’Europe pour en mesurer les spécificités. On étudiera aussi la manière dont elles ont été appliquées par les institutions de détention en analysant notamment les documents de prévention des risques sanitaires instaurés par les directions d’établissements de détention notamment en contexte initial de surpopulation carcérale au sein de certaines maisons d’arrêt.

Enfin, à l’aide d’une analyse des plaintes introduites par les personnes en détention devant le Contrôleur général des lieux de privation de liberté et les requêtes devant les juridictions administratives et de l’ordre judiciaire et la Cour européenne des droits de l’homme, nous mesurerons l’impact concret des mesures de prévention sanitaire sur les justiciables les plus vulnérables et leur droit à la dignité, ainsi que sur les droits à l'accès à la justice.

Keywords:  Privation de liberté; Pandémie COVID-19; Mesures de prévention; Droits des détenus; Plaintes; France.  

Prise de décision et communication éthique au début de l’épidémie du Coronavirus : le cas des prisons au Maroc

Nissrine Hassini Alaoui, doctorante à la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines d’Oujda-Maroc; Saida Belouali, enseignante-chercheuse à l’Ecole Nationale des Sciences Appliquées Oujda-Maroc 

D’un angle éthique, les pandémies sont des périodes révélatrices des forces et des failles des Etats. La menace de crise sanitaire liée aux éventualités d’une épidémie qui peut prendre la forme d’une pandémie suscite nombre de dilemmes éthiques comme l'a signalé E. Hirsch.

Face à cette pandémie, plusieurs enjeux et défis éthiques ont été déclarés au Maroc. Pour cela, la réflexion demeure plus que jamais nécessaire, car l’éthique questionne, interroge, doute, en s’appuyant sur des repères constitués, notamment par les valeurs qui fondent les sociétés comme déclaré par le CCNE dans sa réponse à la saisine du Conseil scientifique Covid-19 du 4 mai 2020.

Cette recherche explore le modèle marocain dans la gestion de la pandémie et les dimensions éthiques des mesures entretenues par le pays dans sa lutte contre cette crise sanitaire en analysant les mesures info-communicationnelles et décisions du Maroc face aux enjeux éthiques que le Coronavirus a révélé dès la déclaration du premier cas infecté.

A travers cet article, nous allons appliquer la méthodologie d’analyse de l’éthique de la santé publique à la gestion de la pandémie de la COVID-19 dans les prisons au Maroc pour évaluer en quelque sorte la portée éthique de quelques décisions prises en urgence lors de cette crise sanitaire en vue d’assurer la sécurité sanitaire et le bien-être social. Pour cela, nous proposons le cadre de référence déclaré par R. E. G. Upshur qui s’avère particulièrement le plus compatible. 

Nous allons donc analyser les mesures prises par le Maroc en se référant aux quatre principes listés par Upshur ("Principles for the justification of public health intervention", 2002), à savoir :

  1. Principe du tort (ou de non-nuisance) : Le principe du tort établit la justification initiale d’une action gouvernementale qui restreint la liberté d’un individu ou d’un groupe comme il a été expliqué par E. Weir dans son article “Les principes d’Upshur pour discuter de l’aptitude médicale à conduire,” 2017.
  2. Le recours aux moyens les moins restrictifs : L'exercice du pouvoir d'État ne peut se faire que dans des circonstances spéciales. La méthode la plus obligatoire ne peut être utilisée que lorsque la méthode la moins obligatoire n'est pas valide.
  3. Principe de réciprocité : Lorsqu'une action de santé publique est nécessaire, les individus ou les communautés devraient chercher de l'aide pour s'acquitter de leurs obligations et obtenir une compensation pour le fardeau qu'ils supportent.
  4. Principe de transparence : Toutes les parties prenantes concernées devraient participer à la prise de décision sur un pied d'égalité, sans coercition ni ingérence politique.

La période couverte par cet article est mars / avril 2020 est celle du début du confinement annoncée par le gouvernement jusqu'au début de l’atténuation des mesures. Par conséquent, cette analyse peut faire une évaluation préliminaire de l'efficacité des mesures prises dans les prisons par le Maroc durant cette période.

Keywords:  Privation de liberté; Pandémie COVID-19; Mesures de prévention; Prise de décision; Ethique de la décision en matière de mesures de santé publique.  

Conditions carcérales et mise en œuvre des mesures de prévention contre la COVID-19 à la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou au Burkina Fasso

Habibou Fofana, maître-assistant en sociologie à l’UFR Sciences Juridique et Politique, Université Thomas Sankara/Burkina Faso; chercheur au Pilot African Postgraduate Academy (PAPA).

Comme partout ailleurs dans le monde, la pandémie de la Covid-19 a exigé au Burkina la mise en œuvre d’un ensemble de mesures de prévention et de protection. Plus ou moins acceptées par les populations, ces mesures n’en sont pas moins apparues comme indispensables pour éviter l’hécatombe que l’OMS redoutait pour les pays africains caractérisés par l’extrême fragilité de leurs infrastructures sanitaires. Et l’avènement de la Covid-19 aura montré à travers le monde les capacités inégales des pays, et à l’intérieur de ceux-ci, des groupes sociaux, à se protéger, par l’application des mesures préconisées, dont principalement l’hygiène, le port du masque et la distanciation ou plus radicalement, le confinement. Mieux, dans le cas des pays africains, peut-être plus qu’ailleurs, les situations des individus en privation de liberté constituent un véritable dilemme.

En effet, en 2016, dans sa Déclaration sur la situation dans les prisons au Burkina Faso à la 59ème session ordinaire de la commission africaine des droits de l’homme et des peuples, tenue à Banjul, le MBDHP (Mouvement burkinabè des droits de l’homme et des peuples) décrivait ainsi les conditions carcérales : « surpopulation, vétusté des bâtiments, promiscuité, misère, épidémies et endémies non-prises en charge, insalubrité, atteintes à l’honneur et à la dignité, mort de détenus, etc. restent encore les maîtres maux qui minent les milieux carcéraux au pays des ‘hommes intègres’ ». De fait, les statistiques de la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou (MACO) illustrent de manière dramatique ces conditions carcérales. Pour une capacité d’accueil de 570 détenus, le taux d’occupation de la MACO était de 279,6% en 2009, 408,6% en 2017 et 414,7% au 31 décembre 2018 (Burkina Faso, Ministère de la justice, Tableau de bord statistique 2018 de la justice).

Dans ces conditions, la question de l’application des mesures de prévention et de protection contre la Covid-19 soulève alors un véritable défi de justice sociale que l’on pourrait formuler sur trois niveaux : 

  1. Quelle politique sanitaire le gouvernement burkinabè a-t-elle envisagée pour le milieu carcéral, et suivant quelle conception de la justice sociale et des droits des individus en privation de liberté ?
  2. Comment les acteurs judiciaires (juges et procureurs principalement) ont-ils intégré, ou pas, la situation exceptionnelle que constitue la pandémie dans les procédures ordinaires de la privation de liberté ?
  3. Suivant quels arbitrages les autorités pénitentiaires, la MACO pour ce qui concerne notre étude, ont-elles mis en œuvre, ou pas, les mesures contre la Covid-19 dans la gestion quotidienne des établissements pénitentiaires, et pris en charge, ou pas, les cas avérés ou présumés d’infection ?

Keywords:  Privation de liberté, Pandémie COVID-19, Mesures de prévention; Prévention de la torture; Justice sociale.